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 Fragment #1 - Combat Nocturne

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Altaïr

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Fragment #1 - Combat Nocturne Empty
MessageSujet: Fragment #1 - Combat Nocturne   Fragment #1 - Combat Nocturne Empty08.04.08 1:53

Lundi 20 février 2006
à Dijon

J’émerge lentement d’une léthargie paresseuse, enveloppé par le murmure des pensées embrouillées qui peuplent mon esprit fatigué. Raccroché à la réalité, je sens d’abord une surface dure et froide contre ma joue. J’ouvre alors des yeux embués pour découvrir un décor flou et sombre, hormis cette lumière agressive, braquée sur mon visage. Il me faut quelques secondes pour réaliser que je me trouve assis à mon bureau, dans ma chambre, noyé devant une dizaine de feuilles noircies au crayon de papier par d’innombrables notes, hiéroglyphes incompréhensibles. La lampe de mon bureau dessine sur les murs de la pièce un théâtre d’ombres mettant en scène de terribles comédiens issus des profondeurs de l’enfer. Un frisson parcourt mon échine.

Quelle heure est-il ? Le doux berceau de la réflexion m’a profondément endormi depuis près de deux heures maintenant. Que faire ? Avec cette manie de toujours tout repousser au dernier instant, je me retrouve dans un piège sans issue. Les sourcils froncés, je replonge dans la paperasse illisible qui s’étale sur toute la surface de mon bureau. L’amoncellement de copies et de cahiers qui s’y entasse est tel que le lauréat de l’étudiant le moins organisé de l’Académie, s’il avait existé, me serait décerné sans la moindre hésitation. J’empoigne mon critérium et commence à griffonner un entrelacs de traits noirs, qui s’emmêlent comme des entrailles pour ne former qu’un trou obscur et béant, un aller simple vers les profondeurs du néant. J’intensifie le réseau de ces veinules noirâtres sur la feuille, épaississant ses méandres jusqu’à former une véritable toile d’araignée.

Non. Je dévie de mes priorités. La feuille, réduite à l’état de boulette, ne tarde pas à se retrouver parmi ses congénères, au fond de la corbeille. Sombrer dans les méandres carboniques ne sert à rien, mieux vaut se concentrer sur le travail. Je lève les yeux au plafond, où grimace le sourire d’ombre d’un saltimbanque diabolique. Sa silhouette désarticulée penchée sur moi a quelque chose d’effrayant et de grotesque. Je lui adresse un regard dédaigneux, puis reporte mon attention sur ce sujet qui torture mes neurones depuis trop longtemps. Il me nargue, avec ce petit air supérieur qu’arborent tous les sujets de dissertations. Ils sont hautains et imbus d’eux-mêmes. Ils se parent de jolis mots, de syntaxes compliquées, dans l’espoir que l’esprit s’étrangle en essayant de les comprendre.
Je secoue la tête. La fatigue me mène sur des terrains de réflexion désertiques, où des mirages m’éloignent de la réalité. Impossible de me concentrer. L’échéance est bien trop proche pour renoncer, et je me maudis de n’avoir pas commencé plus tôt. Je dois en finir dès ce soir. Ce sera un combat entre moi et le sujet, un affrontement sans pitié dont je dois à tout prix sortir vainqueur. Je recharge mon critérium d’une mine neuve et sors une feuille vierge. Elle sera le terrain de notre impitoyable bataille. Mon critérium fait son entrée sur le ring ; le combat commence. Je décoche un habile argument dans la mâchoire du sujet, qui ne se laisse pas démonter pour autant. Sans se contenter d’encaisser mon attaque, il provoque une vive confusion dans le chaos de mes pensées. Je dois me ressaisir ; afin de me rafraîchir les idées, je m’asperge le visage de quelques lignes de cours. Un sourire sur le coin de lèvres, je frappe mon adversaires de trois coups consécutifs, trois arguments imparables que le sujet ne peut esquiver. Au tapis, il semble moins téméraire. Mais la capacité des sujets de philosophie à semer le doute et à troubler l’esprit humain est un fait indéniable. Ce sujet-ci est un spécimen particulièrement doué en la matière : il parvient à me faire ravaler mon orgueil et je dois barrer avec dépit mes arguments. Le sujet en profite pour me railler du haut de sa complexité.

A contre-cœur, je déclare forfait. Qu’il n’en tire toutefois pas trop de fierté, ma soumission n'est que partie remise. Après un bâillement démesuré pour manifester mon dédain quant à cette première manche perdue, j’éteins la lumière, dissipant le cortège des masques infernaux peints sur les murs de la chambre. Avec la fierté blessée des vaincus, je me glisse sous mes draps et, les yeux grands ouverts, je songe à ce duel mental particulièrement éprouvant. J’en arrive à la conclusion que mes pensées devraient cesser de partir en vrille comme elles en ont pris la fâcheuse habitude, et qu’il me faut arrêter de me lancer dans des combats imaginaires contre des sujets personnifiés. Epuisé par cet affrontement nocturne éprouvant, je succombe aux charmes du sommeil, dont les bras m’enlacent fermement, entravant mes sens et mon esprit engourdi.
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