Fragment #23 – Les secrets dans le froid

Le froid rose et mordant est tombé sur Paris comme une pierre. C'est la mi-octobre, et déjà je suis emmitouflé dans la laine pour me tenir chaud. Maman râle contre Ben à la maison car il n'a toujours pas mis le chauffage, et parfois je me dis qu'elle gagnerait du temps à se rendre d'elle-même dans la chaufferie pour actionner les tuyaux. On grelotte dans les draps la nuit, les pieds restent glacés même au fond du lit, et je finirai pas perdre mes orteils si personne ne se décide à contrattaquer l'hiver en approche.
Devant le portail du collège, ce matin (maman m'a déposé en vitesse avant d'aller au travail), je retrouve Lou qui attend en lisant un livre, sage comme une image. Nous nous faisons la bise, lèvres bleues sur des joues transies. Dans le ciel limpide, un soleil d'or trône avec pâleur.
« Tu vas bien ? me demande Lou.
- Oui, et toi ?
- Très bien. »
Je ne sais pas quoi dire. Il faudrait aborder les choses qui me chagrinent : Ninon qui m'abandonne et qui ne se confie pas à moi, Lauren qui me prend pour un imbécile, et peut-être même tous ces soucis qui traînent à la maison, entre Ben et maman, et aussi dans mon coeur : mon père invisible, celui que j'ai cru pouvoir retrouver dans la piscine en Espagne et pour lequel je n'ai pas la moindre piste. Nikki a beau dire que c'est idiot de chercher les vérités enfouies, je ne peux pas baisser les bras. Je ne dis pas que j'attends de mon père qu'il joue le rôle qu'il n'a jamais joué, comme ça, du jour au lendemain. Mais je voudrais le connaître. Savoir d'où je viens, qui il est et ce qu'il m'a donné. Je ne suis pas que comme maman. Il y a des choses en moi qui ne ressemblent en rien à ce que l'on trouve chez elle. Ca devait être un garçon qui se posait beaucoup de questions.
« Il fait froid, dis donc. »
J'acquiesce. Lou regarde dans le vague. Je baille un peu.
« Ah tiens, voilà Axel et Ninon. »
Nos amis nous rejoignent, Mme Condor et son fidèle chien, Ahmed, viennent ouvrir le portail et le flot des élèves s'engouffre dans la cour du collège. La journée peut commencer, pleine de peines et de trahisons. Pleine de secrets aussi.