Fragment #222 – Nouveau Moi

Dimanche 13 décembre 2009
à Paris

20h44. Je regarde par la fenêtre l’activité de la rue. Elle va ma manquer. Cette rue, cet appart, la vie parisienne ; je m’étais habitué à vivre ici. Dans la semaine je rentre en bourgogne préparer mon voyage. Le grand voyage.
En tout cas je suis content. Soulagé plutôt, que cette histoire soit terminée. J’en avais mare des allers retour dans cette caserne où j’étais devenu un pestiféré, pour signer des papiers, remplir des dossiers répétitifs, subir des rendez-vous dévalorisants avec des supérieurs irrespectueux,… Me voilà donc radié de la caserne, de la Brigade, et de l’armée. Je ne suis plus rien. Je viens de perdre trois matricules d’un coup. Je ne m’en fais pas, on saura me retrouver, j’ai toujours une carte d’identité, un numéro de sécurité sociale, de passeport et de permis de conduire. Je pense que l’Etat, si peu totalitaire soit-il- rictus – nous case autant qu’il peut. Nous sommes fichés, répertoriés, classifiés, sans qu’on se plaigne. Bien sûr que certains grognent un peu, mais rapidement ils se laissent avaler par le système. Ils acceptent une règle dès qu’ils se mettent à pester contre une nouvelle norme, une nouvelle loi. Je ne veux pas être de ceux-là. Ni de ceux qui se laissent manger sans rien dire, ni de ceux qui réagissent vainement après que les dents ont claquées derrière eux et que le monstre est en train de les digérer.
Je regarde par la fenêtre l’activité de la rue. Les mains sur le radiateur, mes yeux se perdent dans le mur en face. Mes yeux vidés dans le noir de la nuit déjà tombé vont chercher leur force perçante dan la chaleur que j’aspire par mes mains. Je suis la force du monde, je suis l’enfant des astres, je suis le père de l’avenir.
Derrière moi Laura est en train de préparer à manger. Gratin d’aubergine et porc au curry. Elle se donne bien du mal. Bien sûr j’aime ça, et je suis bien content qu’elle se donne tout ce mal, mais c’est disproportionné. On est dimanche soir, et c’est tout. Demain elle retourne au boulot, ça lui prend pas mal de temps, elle est même obligée de bosser en rentrant le soir parfois, mais elle aime ça. Elle travaille dans le domaine qui lui plait, et c’est ce qui est le plus important. J’ai adoré être pompier. J’en ai tant rêvé pendant des années, j’ai tant idéalisé la profession, j’ai tant aimé que je m’en suis dégouté. Trop c’est trop. Et puis j’ai envie de faire autre chose. J’ai envie de…
Derrière moi Laura sait. Elle sait que je vais bientôt quitter l’appartement, elle sait presque où je vais aller, je pense même qu’elle est un peu triste. Elle fait comme si de rien était depuis plus d’une semaine, mais je vois bien que ça la peine. Elle pourra payer l’appart avec son job, il n’y a pas de soucis, et au pire j’ai mis suffisamment d’argent de côté pendant un an pour pouvoir continuer à l’aider un peu pour le loyer. Non je pense que je vais lui manquer ; on avait vraiment pris l’habitude de vivre ensemble, d’être tous les deux, rien que tous les deux. A moi aussi elle va me manquer.

Je regarde la fenêtre et voit le reflet de Laura s’avancer vers moi. Je me retourne et la serre dans mes bras. Je t’aime, lui glisse-je à l’oreille en la serrant plus fort encore.