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 Fragment #185 - Au Dionysos

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Altaïr

Altaïr



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MessageSujet: Fragment #185 - Au Dionysos   Fragment #185 - Au Dionysos Empty11.04.08 13:56

Lundi 12 mars 2007
à Dijon

Emerger d’un sommeil léthargique. Sentir les restes des pensées embrouillées, dans un murmure, doucement s’effacer. Et le goût de l’alcool âcre qui hante mon petit intérieur buccal. Haleine vodka, parfum de réalité. Surface dure et froide contre ma joue écrasée.
Tout me revient d’un coup, les souvenirs décantés de mon cerveau embrumé. Julian, Julian Mahogany. C’est moi. Le poète aux yeux acajou. Je suis dans un bar, le Dionysos, là où Sylvain m’avait emmené il y a presque deux semaines. Ce bar timidement encastré entre deux ruelles, si bien que jamais je ne l’avais remarqué auparavant. Ce bar qui sent les sous-bois. Ma joue aplatie sur le comptoir, tandis que des types jouent au carte dans l’obscurité brumeuse, quelques tables dans mon dos. Un vieil homme, à ma droite, est figé en contemplation devant son verre, comme si, à travers la liqueur ambrée, il percevait un ailleurs, une ouverture entre les mondes. Il a les cheveux blancs et long, couleur argent, et un œil masqué, comme un pirate. Son visage est barré de cicatrices et de rides, détendues par la béatitude dans laquelle il se trouve plongé en cet instant.
« Eh, p’tit gars ! »
Je me redresse brusquement. Le patron se tient devant moi, un homme solide d’environ cinquante ans, peut être un peu moins, le visage aimable, quoiqu’en cet instant froncé en une moue inquiète. Mes yeux cillent un instant. L’air du Dionysos est lourd et embué par la fumée nuageuse des joueurs de cartes qui, depuis des heures déjà, fument à s’en asphyxier les bronches.
« Je prendrai un verre de mojito, articulé-je avec difficulté.
- Tu as peut-être déjà assez bu p’tit gars, non ?
- Juste un verre, s’il vous plait. »
Le patron me sert un verre sans me lâcher des yeux. Comment peut-il faire ça sans regarder ses mains ? Son regard qui heurte le mien de plein fouet. Merde, et mes yeux de feu et de glace, pourquoi n’ont-ils aucun pouvoir sur lui ?! Pourquoi ne ploie-t-il pas ? Est-ce que je ne suis pas un dieu ?
« Un mojito, votre seigneurie, me lance-t-il en me fixant toujours de cet air étrange et ironique, tandis que le verre passe entre mes mains fébriles. »
J’approche le liquide de ma bouche et le laisse s’y écouler. Il lave les restes de vodka putrides et me brûle la trachée. L’espace d’un instant je retrouve la saveur de ces soirées passées en compagnie du Clan. L’alcool, le sexe et la drogue. Un Julian-Phébus dans la dépravation la plus totale. Le patron, lui, continue à me regarder, avec ses yeux francs et bruts, impossibles à soutenir. Ce n’est pas le regard-carnage de Sylvia ni celui tentaculaire de la Pieuvre, c’est un regard d’homme honnête, et je m’y sens brisé. Lentement, je baisse la tête en signe de soumission.
Le patron esquisse un sourire et me tend une main amicale.
« Je m’appelle Louis, et toi ? »
Ma main frêle entre ses phalanges puissantes.
« Julian. »
Mon prénom qui s’échappe de ma bouche dans un bruit rauque.
« Dis moi Julian, comment t’as fait pour t’échouer ici ?
- Je… j’en sais rien…
- Comment ça t’en sais rien ? Les gens qui se retrouvent ici sont comme des naufragés, ils arrivent pas au Dionysos par hasard. »
Louis et moi adressons un regard furtif au vieux pirate qui, à ma droite, semble toujours confondu dans la plus parfaite des extases, l’esprit perdu entre les bords de son verre. Un naufragé ?
L’envie me prend de tout confier à ce brave homme au sourire sympathique et à la voix apaisante. Lui raconter mon existence ballottée par les vents impétueux de l’ouragan destin, les rêves trahis, mes amis partis, mon père malade, mes frères qui se déchirent en silence, ma mère qui refuse de me voir quitter la fac, ma petite amie enceinte à vingt ans à peine. Non, je ne crois pas au hasard. Il y a ce Secret, Nathan, Jed, et la boîte, avec une fourche gravée dans le bois. Il n’y a pas de hasard. L'envie me vient...
Et je ne dis rien.
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Fragment #185 - Au Dionysos
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