Dimanche 28 mars 2010
à Ravilloles
Je suis rentré très tard cette nuit. J’étais avec Elliott. J’ai passé un bon moment avec lui, comme quand on était plus jeunes les soirs d’été. A la différence près que Victor était avec nous ces jours-là. Je pense que c’est pour cette raison que ses parents ne sont pas venus nous voir. Je les ai tellement habitués à ma présence. Je pouvais vivre une semaine chez eux sans même retourner chez moi.
Nous sommes restés sur son lit, sous la couette. J’étais allongé sur le dos, en sous vêtements, et la tête d’Elliott reposait sur ma poitrine. Nous étions proches. La première fois que nous l’étions autant, du moins, physiquement. On n’a pas dormi, on contemplait la vue, depuis la chambre d’Elliott et puis on a parlé, mais plus de Victor cette fois. Cette fois, c’était fini.
- Alors comme ça tu es gay ?
- On va dire que je m’en suis aperçu au collège. Je suis tombé amoureux de toi à ce moment là. Je n’ai jamais osé trop en parler. A l’époque, personne dans mon entourage n’était gay, alors au début je me sentais un peu seul. Comme Victor l’a écrit, j’étais « l’erreur de la nature ». Mais j’ai des parents très ouverts qui m’ont parlé de sexualité très tôt. Ils ne voulaient pas me voir me torturer l’esprit de questions existentielles. Alors ils m’ont parlé d’homosexualité. Ils m’ont dit que même si je n’étais pas attiré par les hommes, il fallait que je sache ce que c’était, ne serait-ce que pour ne pas en avoir peur. De fil en aiguille, j’ai posé tout un tas de questions. Grâce à mes parents, j’ai pris conscience que je n’étais pas seul, que le principal était d’aimer, peu importe le sexe. Voilà pourquoi je n’ai pas eu la même réaction que Victor. Sans mes parents je pense que j’aurais fini pareil. Et toi ? Tu es gay ?
A force d’en avoir parlé toute l’après midi, les larmes et la tristesse se sont effacées de nos visages. Nous étions beaucoup plus calmes et posés.
- Je ne sais pas. Je ne suis plus sûr de rien en fait. Je pensais aimer les femmes. Mais c’est vrai que maintenant qu’Emilie est partie, je me surprends à penser aux garçons. A tous les petits détails de la vie de tous les jours. Regarder les hommes dans la rue ou s’arrêter peut être trop longtemps sur la page sous-vêtements masculins des catalogues. Je ne me pose pas autant de questions que les ados parce que je sais que je ne suis pas seul, mais je ne sais plus ce que je préfère. C’est assez flou.
Après lui avoir embrassé le front, il leve son regard pour mieux me voir. Je décide de lui faire plaisir en lui faisant de mon ressentit sur ce qu'il s'est passé entre nous.
- Ton baiser, tout à l’heure, était magnifique. J’ai rarement ressenti ce genre de chose avec les filles, alors, pourquoi pas ?
- Si tu as envie de tenter l’expérience, je serais très heureux de construire quelque chose avec toi.
Il me sert contre lui de toutes ses forces.
Je sentais qu’il avait beaucoup d’amour à donner.
« Gaby. Gaby ! »
La voix de ma mère m’arrache à mes pensées.
« A table ! »
Je retrouve mes parents et mes sœurs, assis autour de la table du salon. Un bouquet de roses et de lys l’ornemente. Quel bonheur de revoir Isabelle. Mais la voir assise à côté d’Hanna anéantit toute ma joie. Chacun se sert religieusement du rôti de bœuf que ma mère a préparé avec amour ainsi que son accompagnement de légumes. D’habitude je complimente toujours ma mère mais mon regard se perd à nouveau dans mes pensées. Hanna m’y arrache et annonce :
- Gaby n’est plus avec Emilie. Vous le saviez ?
Quelle garce ! Elle sait très bien que je suis mal à l’aise quand on parle de ça en famille.
Ces derniers, étonnés, me regardent avec pitié. Avant même que ma mère ait eu le temps de me demander pourquoi, Hanna continue.
- D’ailleurs il est rentré complètement bourré cette semaine. C’est sa pote, Juliette je crois, qui l’a ramené et qui s’est occupé de lui. Il me semble que vous avez couché aussi, non ? A moins que les bruits que j’ai entendu ne soient ceux du vomi tombant à terre ? J’espère que t’as lavé au moins !
Je n’en peux plus. Je bouillonne. Mais ce démon ne l’emportera pas comme ça.
Quitte à faire un scandale auprès de mes parents, autant aller jusqu’au bout :
- Oui, c’est vrai, Emilie m’a quitté et Juliette m’a ramené car j’étais bourré. Mais je n’ai pas couché avec elle. Et sachez que cette nuit, Elliott m’a avoué son amour, et qu’il était « en compétition » avec Victor, qui m’aimait également. Attention, ouvrez grand vos oreilles car il y a de fortes chances que votre fils soit gay !
Sur ces belles paroles, je quitte la table, laissant toute ma famille stoïque, sauf Isabelle, qui arbore un léger sourire. J’ai la sensation qu’un poids d’une effroyable lourdeur tombe de mes épaules. Heureux et léger, je monte dans ma chambre. Je prépare mon sac et je m’en vais chez Elliott, lui annoncer que nous formons un couple.