Fragment #59 - Intermède #1

Assis sur les marches du Sacré-Cœur, je laisse chaque goutte d'eau glisser sur mon visage et mes paumes ouvertes. Chacune suit son chemin, parfois celui de la précédente, parfois creusant son propre sillon.
Je ne sais pas depuis combien de temps je suis assis ici. L'averse est passée. Je regarde les touristes autour de moi. Il y en a de tous les continents. Asiatiques (accompagnés de leurs traditionnels gadgets), américains (tapageurs et exubérants), etc. Les flashs crépitent, les groupes se succèdent. Je reste planté là.
On m'observe. Les touristes, effectivement, se demandant, ce qu'un grand sec fait, assis au milieu des marches, les empêchant de faire la photo parfaite. Mais il y a quelqu'un d'autre. Un gars est assis à une des terrasses qui fait face au Sacré-Cœur. Je l'ai repéré depuis un petit moment. Vêtu d'un blazer et pantalon noirs, chaussures parfaitement cirées. Chemise blanche avec boutonnières, cravate à rayures noires et rouges. Blond, cheveux plaqués en arrière. Il n'est pas le seul habillé comme ça dans les alentours, beaucoup d'hommes d'affaires venant dîner dans les petits restaurants du quartier, mais lui, il est à part. Peut-être juste sa manière de regarder autour de lui toutes les deux secondes. Ou alors sa manière de remercier avec un grand sourire la serveuse dès qu'elle lui apporte un café (Je n'ai pas encore vu de parisien dire merci à une serveuse). Ou alors, c'est juste à cause de la grande enveloppe brune posée sur la chaise devant lui. La même que celle qu'on m'a remis la dernière fois. L'homme en noir et moi échangeons encore un regard. Il regarde sa montre. Je regarde la mienne. Quatorze heures trente. Je me lève. Visage fermé, les mains dans les poches, je me dirige vers la terrasse. L'homme en noir porte la tasse à sa bouche. Je m'arrête devant lui. Il ne lève pas les yeux, fixe le liquide noir.
« Prend l'enveloppe et casse-toi. »
Il a à peine murmuré.
« Qu'est-ce que je suis censé faire cette fois-ci ?
- Pas tellement différent de la dernière fois. On t'appellera pour te donner plus de détails. Maintenant tu te casses. »
Fin de l'entrevue.