Fragment #24 - Où l'on découvre Dijon

Mon attestation d’assurance responsabilité civile enfin obtenue, en sécurité au fond de mon sac, je remonte à pieds jusqu’au centre ville. Je passe dans la rue d’Auxonne, avant d’arriver place Wilson. Arrivée de l’autre côté de la place, j’hésite quelques secondes, puis finalement prend la rue qui rejoint la place des Cordeliers. Continue, puis vire dans la rue du Bourg. Le vent froid et la petite pluie qui commence à tomber ont dissuadé les dijonnais de sortir de chez eux, les rues sont presque désertes, mis à part quelques gens pressés qui ne sont là qu’en déplacement. J’ai la chair de poule, avec mon t-shirt. J’arrive rue de la Liberté. La liberté…concept attirant, mais quelqu’un sur cette Terre peut-il sans mentir se vanter de l’avoir connue, cette belle et douce liberté ?

Il y a l’air d’y avoir de l’animation, plus loin. Enfin, « de l’animation », c’est beaucoup dire, mais plus je m’approche de la place Darcy, plus je perçois le bruit froissé d’un rassemblement. Un murmure incompréhensible qui à lui seul forme une atmosphère. Des gens portant des drapeaux rouge et blanc, avec en plein milieu un arbre vert. Ca me rappelle quelque chose…

Je m’approche un peu plus, passe sous l’arche, me retrouve au milieu de la foule. De la petite foule, pour être précise, il n’y a pas tellement de monde pour ce qui semble être une manifestation… Des panneaux. « Non à la guerre », « Arrêtez le massacre de nos enfants »…

Le Liban. C’est ça, évidemment. Le drapeau libanais m’entoure, m’encercle presque. Un homme passe près de moi et m’en tend un petit, en dessous duquel il y a écrit « Oui à la paix ». Je suppose que mon destin était de me retrouver mêlée à tous ces gens, pour la plupart d’origine arabe, mais il y a aussi quelques français. Mes jambes se mettent en marche en même temps que les leur. Je me surprend même à crier des slogans avec eux. De toute mes forces.
J’ai les larmes aux yeux lorsqu’un enfant s’empare d’un mégaphone et hurle à pleins poumons une phrase en arabe, reprise aussitôt par une partie des manifestants. Nous sommes peu, mais je sens un réel coefficient de sensibilité. Les photos collées sur les panneaux en carton me donnent envie de vomir, et de me purger en même temps de tout cet égoïsme humain, celui qui fait que si peu de gens sont dans la rue pour sauver un pays tout entier, quand des centaines de milliers de jeunes étaient descendus car le gouvernement leur proposait un changement de législation.
Et puis je me sens comme en osmose avec ceux dont la famille est restée là-bas, moi qui ai quitté la mienne délibérément. A présent je sens à quel point mes racines me manquent, et j’ai envie de leur hurler, à tous, que moi aussi il m’arrive d’avoir mal pour ma famille. Mais je ne dis rien.
Après un arrêt plus que symbolique place de la Libération, le cortège redescend vers la place Darcy. Je n’attend pas d’y être arrivée, je me détache de la masse compacte et uniforme qu’ils forment tous maintenant, tourne dans la petite rue à côté de La Concorde, et vais sur la place Grangier. Je plante mon drapeau dans le massif de fleurs en face de la Poste. Je n’avais pas remarqué, mais la pluie n’en est restée qu’à son commencement, et quelques éclaircies percent les nuages.
Espérons que ce soit un présage…