Fragment #119 - Haine à l'état pur

Fatigué, encore. Rien d'aussi terrible que jeudi, certes. Mais assez fatigué pour me désintéresser de ce que raconte le professeur depuis le tableau. Je pense à ma nouvelle maison à Joué-lès-Tours, même si nous n'avons pas encore vendu celle de Saint Avertin, et que nous allons sans doute la garder quelques mois au cas où. Cette nouvelle maison est devenue ma nouvelle maison, j'y suis chez moi, chez Léa, chez nous. Je n'aurais pas pu souhaiter mieux.
« Y rêvasse encore, Leroal ? »
Je fusille le professeur du regard. Il ne me lâche plus. Son sourire diminue durant une seconde, puis s'agrandit de nouveau.
« Eh ben faut pas prendre cet air méchant, faut être content d'être en physique ! »
Bon sang, je le hais. Il m'invite à venir au tableau faire un exercice. Je descends jusqu'à son bureau, saisit un feutre, recopie l'énoncé en fulminant.
Et lorsque j'essaie de le faire, rien ne me vient. Mon esprit reste désespérément vide. Que se passe-t-il ? Ca ne m'était jamais arrivé. Il y a comme un blocage.
« Tiens, le premier sèche ? »
Quelques rires goguenards derrière. Il n'y a pas d'ambiance de compétitivité dans la classe, mais ce n'est pas pour ça qu'ils vont se priver de l'occasion de se moquer d'un autre, surtout de moi.
« Bah alors, Leroal, qu'est-ce qui se passe ? Vous n'avez pas appris votre cours ? »
Je le regarde d'un air sombre. Connard. Le sang bout à l'intérieur de ma tête. Je suis sur le point d'exploser. Et rien ne me vient. Tous les symboles sont devenus opaques.
« Bon, retournez à votre place, on va demander à quelqu'un d'un peu plus éveillé, tenez, Riardion, venez par ici. »
Je regagne mon siège à pas lent. Il y a comme un fil de haine entre le professeur et moi, mais je suis le seul à l'alimenter. Cet abruti ne s'en rend même pas compte. La haine à l'état pur.