Fragment #316 - Mourir, ou partir ?

Où sommes-nous ? Qu'est-ce qu'on fait là ?
Qui est cette fille à côté de moi ?
Qui suis-je ?
Le train file et les lumières font des traces au néon sur nos rétines affolées. Le temps et l'espace se contractent et se dilatent en rythme. Dijon, Paris, et cette ville en approche. Il fait nuit. Je ne distingue pas la forme des choses.
Jed, est-ce que tu m'as oublié ?

Lilian, je te laisse ce mot parce que je n'ai pas le temps de te dire au revoir, je pars à Londres avec Laetitia, je vais refaire ma vie là-bas, ici tout est trop terne, tout me fait trop mal. Tu vas me manquer bien plus que tu ne l'imagines. Je t'aime petit frère, prend soin de toi mais ne travaille pas trop, travaille juste ce qu'il faut. Je t'embrasse.
Julian

PS : Peux-tu aller prévenir Louis au Dionysos pour moi ? Et le dire à Papa et Maman ?
Et surtout, ne vous inquiétez pas pour moi, je sais ce que je fais.

Bon, c'est des conneries tout ça, je ne sais absolument pas pourquoi je suis là, ce que je vais faire une fois arrivé dans cette putain de ville que je ne connais même pas. Laetitia regarde à travers la vitre, déjà ses paupières-papillon ont retrouvé leur vivacité et battent comme de petites ailes; lourdes de fard bleuté. Pourquoi es-tu venue, Laetitia ? Pourquoi ?!
Cela faisait quelques jours que j'y pensais, à partir, à quitter tout ça, le boulot, la famille, et surtout Lola et le bébé, pour reconstruire ma vie, ma vie à moi, loin d'ici, loin de la viscosité du quotidien, loin des murs et des portes trop connus. Et comme par hasard, tu débarques devant ma porte et tu m'entraînes avec toi dans un nouveau voyage. Est-ce que c'est le Destin ?
Désormais il va falloir choisir, Julian.
Choisir quoi ?
Tu le sais. Je n'ai eu de cesse de te le répéter.
Choisir quoi putain ?
Entre Toi et ton Destin.
J'emmerde mon Destin, j'emmerde le Clan, j'emmerde Nathan et ses conneries, et Lola, Alexandre, Déborah et Léo, je les emmerde tous. Pourquoi ils ne sont pas venus l'autre soir ? Pourquoi ils me prennent pour un con ?
Donc c'est Toi que tu choisis, finalement. Ca ne m'étonne même pas.
Eh bien quoi ? Je peux pas croire à tout ça. Je veux une vie normale, je veux des ennuis normaux. Je ne veux pas qu'un gars essaye de me tuer comme il a tué Jack.
Tu n'as aucune preuve de ce qui s'est vraiment passé.
Toi non plus.
Mais moi je ne prétends rien.
Je t'emmerde.
Nous voilà bien avancés Julian, merci. Faudra-t-il que je reprenne le contrôle cette fois encore, où bien est-ce que tu parviendras à gérer Laetitia sans moi ?
Je ne suis pas venu pour la suivre elle, cette fois. Je suis venu parce que je veux revoir Jed, et parce que j'ai quelque chose à faire ici. Pour mettre fin à tout ça. Détruire la façon dont tout a commencé.
Je vois. Mais tu es conscient du fait que, après, tu ne pourras plus faire marche arrière ?
Oui, j'en suis conscient.
Où sommes nous ? Le train nous emmène en direction de l'Angleterre et de Londres, par delà la mer. Je n'arrive pas à y croire. Les choses changent. Les choses se présentent à nous comme les cartes retournées une à une d'un étrange jeu de tarot. Est-ce que c'est moi qui ai choisi de partir, suivant ma propre volonté ? Ou bien n'ai-je fait qu'obéir à une force supérieure qui guiderait mon chemin, tout en me laissant l'illusion que je contrôle ma vie ?
Et qu'est-ce qui est lâche ? Partir, ou souffrir ?
Mourir, ou partir ?