9h47. Il y a un peu plus d'un quart d'heure que nous sommes assis sur les bancs en bois de cette église. La voix du prêtre y résonne, et ses psalmodies sont tristes. Tout est morne et froid. Les pierres de l'édifice écoutent les pleurs de la famille avec miséricorde. Les vitraux ne laissent entrer que la lumière divine, qui vient baigner d'ombre, le cercueil trônant au bout de l'allée. Je suis assis au deuxième rang. Là où les psaumes prennent toute leur force. Il y a du monde. Melissa, dans une robe noire, presque indécente pour la situation, me prend la main. Fixant toujours le cercueil, je me dégage de ses doigts. Je n'ai pas même un regard pour elle. Mes yeux se perdant quelque part entre la bière et l'autel. Des frissons parcourent ma colonne vertébrale, et me font courber le dos, chaque fois que le prêtre prononce le nom de mon père. Laura monte en chaire faire un discours. Elle ne manque pas de verser les dernières larmes qu'elle porte encore en elle. Ce qui m'émeut. Je me retiens de verser moi aussi quoi que ce soit. J'ai déjà du mal à déglutir, tant je me sens oppressé dans cette église. Ou bien, c'est cette mort ambiante qui m'étouffe. Ma mère aussi parle en mémoire de mon défunt père. Puis c'est ma grand-mère qui s'adresse à l'assemblée pour nous dire ô combien mon père était un saint homme.
Ma grand-mère, ma mère, ma soeur, mes frères et moi, nous levons. Quittant les deux premiers rangs où nous étions installés, nous embrassons, chacun à notre tour, ses joues froides et dures. Le silence se perdure un instant puis nous nous alignons près du cercueil, et nous entendons racler les bancs. Nous nous alignons, afin que chacun, venant se signer devant le cercueil, puisse dans le même temps nous présenter ses condoléances. Une file d'une cinquantaine de personne se forme. Serrant, tour à tour, les mains des membres du clan familial, ils essaient d'avoir des mots réconfortants. Ils se veulent plein de compassion. Des larmes au bord des yeux, et des glaires au fond de la gorge, je regarde, impassible, passer devant moi ces êtres, qui, pour la plupart ne peuvent pas comprendre. Il y a Lilian qui ne sait pas quoi dire. Et Florian. Il y a Cédric, qui me dit simplement en me serrant la main « J'ai vu dans le journal. » Il y a Mathieu, le cousin, dont le père grabataire n'a pas pu venir. Melissa, me prend la main et baisse les yeux en passant devant moi. Elle ne s'attarde pas. Il y a aussi bon nombre de personnes que je ne crois pas connaître, mais qui semblent bien connaître ma grand-mère. Je reconnais quelques collègues de mon père.
Nous quittons l'église les derniers, suivit seulement, des missionnaires de la mort portant le cercueil. Quatre hommes en noir. Ils n'ont pas de visage. Il n'y a plus que celui de mon père qui compte. Son visage effacé par un couvercle refermé. Un visage que je ne suis pas prêt d'oublier. Sur le parvis, ils attendent notre sortie, dans des visages graves, ou faussement tristes.
La bière est déposée dans un corbillard, au milieu de couronnes funéraires, bien trop colorées à mon goût. Nous suivons en une longue procession ce carrosse mortuaire jusqu'au cimetière. Il roule au pas. Et la vie marche à nos côtés. Elle nous accompagne, pour un dernier hommage ; et viens avec nous saluer, cet homme. Ce père. Mon père.
Ma mère sanglote, lorsque ces quatre soldats de la mort, déposent en terre le cercueil. Le cénotaphe est plein, et cette terre plombièroise sera son tombeau. Le petit cimetière, rempli par cette foule muette, semble cacher les autres tombes, pour que, de noir vêtu, ces dévots ne prennent pas peur. Il souhaite les accueillir à leur tour dans d'autres circonstances. Les oiseaux ne chantent pas, et seules les cloches en contrebas, sonnent onze heures. Il fait froid sous ce soleil. Mes poils se sont hérissés dès que je suis entré dans cet endroit vide. Vide de vie, plein de tombes. J'en ai froid dans le dos, mal dans les gencives. Ça me prend les tripes de voir mon père ainsi recouvert. De ne plus voir mon père.
Je reste quelques instants devant le marbre fraîchement posé. Je déglutis difficilement.
Jean-Pierre Firent
26.10.1956-18.05.2008
Je dépose la rose noire que je tiens depuis ma sortie de l'église, sur la dalle de marbre. Je quitte le cimetière, sans un mot pour personne, et marche plusieurs minutes avant de m'apercevoir que Melissa et Lilian me suivent. Ils sont beaux. Je desserre ma cravate -noire- et me rapproche d'eux. Nous nous regardons. Ils n'osent pas parler. Je ne veux rien dire.
En chemin je finis par rompre le silence. « Demain dans la journée je partirai dans le Morvan avec mes grands-parents. Je ne sais pas quand je reviendrai. » Ils ne répondent rien. Tant mieux.