Fragment #56 - Chez les flics

Les flics m'ont convoqué au commissariat de la place Suquet. Au début, quand Lilian m'a dit ça, j'ai cru que c'était à cause de ce que j'ai fait hier à Laetitia, mais ils pouvaient pas savoir si vite, alors j'ai compris qu'il s'agissait de l'accident. Lilian m'a dit qu'ils étaient passé à l'appartement et qu'ils avait voulu voir la lettre de menace qu'on avait reçu un peu avant le fameux soir. Un mot qui disait juste « Prend garde, petit Lilian, ton coeur va faire boum boum. » Un putain de corbeau pour nous foutre la trouille. Je me disais bien que ça avait quelque chose à voir avec ce qui est arrivé après. Et du coup, ça, ça change tout.
Parce que si quelqu'un a saboté ma bagnole, ça signifie que je suis pas responsable de l'accident. Ca signifie que j'ai pas causé la mort de Robin. Et ça signifie qu'un connard doit payer pour m'avoir déchiré le visage.
Je descends les escaliers sans jeter un regard à la porte de chez Laetitia, et je passe très vite devant la loge pour éviter madame Richard. Dans la rue, je rentre la tête dans le col de ma veste autant que possible, mais pas moyen de cacher cette foutue cicatrice. Les gens me lancent des regards en coin, ils doivent penser que je suis un de ces mecs qui aiment la castagne et qui s'est battu pour finir avec une gueule pareille. Merde, arrêtez de me balancer vos regards hypocrites, et assumez un peu, bande de lâches. Vous croyez quoi ? Que vous pouvez me juger comme ça sans me connaître ? Vous savez rien de ma vie, vous savez pas ce qui m'est arrivé.
Je presse le pas pour arriver plus vite à Suquet. Ce nid à flics me flanque la trouille, même si aujourd'hui il est un peu vidé à cause de cette grosse manif qu'il faut encadrer dans le centre-ville. Je me présente à l'accueil, explique que le commissaire Forestier veut me voir. On me demande de patienter, puis on m'amène jusqu'à lui.
Je rentre dans le bureau d'un type bien nourri. Il a le bide qui déborde au dessus de sa ceinture. Genre la cinquantaine, cheveux grisonnants, et tout. Brun, mal rasé. Il est assis, ou plutôt étalé, dans un grand fauteuil comme je rêve d'en avoir : ces fauteuils en cuir noir, super souples, qui se penchent dans tous les sens. Il m'invite à m'installer en face de lui, et me demande de tout lui raconter.
Je cherche dans ma tête le début de l'histoire, hésite à lui dire que Robin était le copain de Lilian et préfère mentir en affirmant qu'il s'agissait de son meilleur pote. Après tout, ça vaut mieux que les flics sachent pas que mon frère est gay, sinon ils risquent de pas mettre autant d'énergie que ce qu'il faudrait pour résoudre leur enquête.
Je décris la soirée, la vitesse, Julian et Lola sur la banquette arrière, la musique dans l'auto-radio. J'ai l'impression de revivre la scène, la façon dont le moteur s'est emballé, l'embardée brutale, le camion en face de nous, et le choc. Je revois tout. Comment j'ai perdu connaissance, comment je me suis réveillé pour découvrir le cadavre décapité. Comment j'ai perdu connaissance à nouveau pour me retrouver ensuite à l'hosto. Je ne pleure pas.
Le commissaire me demande si j'ai une idée de qui a bien pu envoyer le mot. Je dis que j'en sais rien, que j'ai pas d'ennemis à part cette connasse d'ex-femme qui voudrait certainement ma mort pour garder la gosse pour elle seule. Il me dit qu'ils me tiendront au courant de l'avancée de l'enquête.
Je rentre chez moi, les gens me regardent toujours avec leurs yeux vicieux. Je me mets à courir pour leur échapper.