Fragment #84 - It's time, Part 2

J’ouvre mes yeux, qui commencent à distinguer les couleurs, puis les formes, et enfin je sors peu à peu de mon brouillard. Je ne suis pas dans ma chambre, je ne reconnais pas mes murs, ni mes draps. Mais mes esprits me reviennent d’un coup. La dispute avec Maman, le chemin pour aller au Dionysos, et puis le malaise… le pompier. Mes mains se portent instinctivement sur mon ventre. Vide. Creux. Je le sens, elle n’est plus là. Mais alors où est-elle ? Je me retourne et ne voit aucun berceau à coté de mon lit, aucune couveuse, rien.
Je l’ai perdue. J’ai joué avec sa vie. Maman avait raison, j’aurais du me tenir tranquille, ne pas trop tirer sur la corde. Et puis quelle idée d’aller toute seule dans ce bar, voir un mec qui se contre-fout de moi ? Quelle idée de mettre en péril la vie de mon propre enfant pour un père absent ?
Je suis punie, aujourd’hui je suis seule, sans elle. Je me sens vide comme jamais. Je voudrais pouvoir arracher mon ventre encore gonflé de son petit corps, qu’il ne me rappelle plus ce que j’ai perdu.
Je ne suis qu’une sale gamine. Une sale gamine égoïste qui n’en a fait qu’à sa tête. Une gosse qui n’a que ce qu’elle mérite…
Mais comment je vais faire moi maintenant ? Qu’est-ce que je vais devenir sans elle ? Sans ma Fille… Ma fille…
Je sens les larmes me monter aux yeux, et ce gouffre se creuser un peu plus chaque seconde au creux de mon ventre désespérément vide.
Qu’est ce que je vais dire à mes parents, à Julian ? Que j’ai laissé mourir sa fille pour mieux venir écouter ses élucubrations ?
T’as raison ma petite Lola, met tout sur le dos de Julian, tu te sentiras tellement mieux après…
Je me déteste.
Je me retourne du côté de la fenêtre et éclate en sanglots. Trois petits coups contre la porte.
« C’est moi Chérie, je peux rentrer ?
- Oh Maman je suis tellement désolée, mais qu’est-ce que j’ai fait ?
- Tu veux que je te le dise ? Une bien jolie petite fille qui se porte très bien ! »
Déchirement dans mon cœur. Changement de rythme trop brutal. Je me retourne vers la porte, et vois ma mère entrer, avec une couveuse devant elle.
A l’intérieur de la petite boite en plastique, une petite crevette en pyjama rose dort paisiblement le pouce dans la bouche.
« Mais ? Où elle était ? Et toi Maman, t’étais où ?
- Cette jeune demoiselle attendait juste que sa maman chérie se réveille… Et elle a trouvé le temps trop long on dirait ! »
Maman se penche sur moi et m’embrasse le front. Tout d’un coup je me sens moi, je me sens entière, complète.
Trois générations de filles Sinclar réunies. Ma mère assise à côté de moi, et ma fille qui se réveille doucement à côté.
« Elle est si petite !
- Et pourtant c’est un beau bébé ! 52 centimètres pour 3,570 kilos, c’est une belle demoiselle que tu nous as fait là ! Onze moi de grossesse quand même ! Tu bats des records ma chérinette ! Tu te rends comptes ? »
Je n'écoute pas.
Je la regarde agiter ses tout petits bras, et déployer ses minuscules doigts.
« Elle est tellement belle Maman, t’as vu ça ?
- Tu veux la prendre chérie ?
- Heu… Oui bien sûr. »
Ma mère sort délicatement sa petite-fille et la pose sur mon ventre. Je détaille ses cheveux déjà bruns, son petit nez en trompette et ses yeux qu’elle essaye déjà d’ouvrir au monde. Elle sent bon. Cette odeur particulière que seuls les bébés ont, mélange de crème et de talc. Je caresse doucement sa petite tête.
« Bonjour mon Amour, c’est Maman… Je ne peux rien te promettre tu sais, tu n’es pas tombée sur « Super Maman » ! Mais on va apprendre toutes les deux hein, tu me montreras comment on fait ? »
Je lève les yeux vers ma mère, qui me regarde de ce regard qu’ont les sages devant la transmission d’un savoir.
« Je suis sure que vous vous en sortirez très bien toutes les deux mes Chéries… Et puis Papi et Mamie seront là pour veiller à tout ça hein ! »
Ma fille se rendort, bercée par les battements de mon cœur, qui ont enfin trouvé leur rythme.