Alsciaukat
| Sujet: Fragment #94 - Léa chez Léo 13.04.08 16:55 | |
| Vendredi 6 juillet 2007 à Saint Avertin C’est une très étrange sensation. Quelque chose qui, même avec Marie, m’avait à peine effleuré. Je me rends compte que lorsque nous sommes allé chez Christelle, Léa ne semblait pas spécialement m’attendre ; elle était dans sa chambre, sur l’ordinateur, comme si elle ne savait même pas que nous allions arriver. Et je me rends compte que de mon côté, je suis descendu au salon dix minutes avant l’heure à laquelle elle sa mère doivent venir, sans même le faire consciemment. Je me croyais proche d’elle, il me semblait que nous nous ressemblions, mais il y a en réalité un gouffre entre nous. Un gouffre entre elle et moi. C’est une constatation un peu amère, et autant il est intéressant de découvrir ce sentiment d’amertume inhabituel, autant j’eus peut-être préféré continuer de l’ignorer. Et puis non, c’est idiot, elle devait simplement être occupé, être plongée dans une tâche qui lui tenait à cœur, et elle n’a pas vu l’heure. Ou tout simplement, elle se doutait bien qu’elle serait prévenue, qu’elle n’avait pas besoin d’attendre. Ou bien elle se fichait de savoir qu’on venait, elle était indifférente à notre arrivée, et n’a mangé avec nous que parce que Christelle le lui avait demandé. Est-ce vraiment important ? Pourquoi pensé-je à cela ?... Cette gamine de quinze ans… Elle a l’air d’être tellement plus âgée quand on la voit, le regard fixe, l’air ailleurs, une étincelle d’or bondissant dans ses yeux, comme pour montrer son intelligence derrière le masque d’immobilité. Elle n’est pas comme les autres. Si détachée, si pure… Je repense au corbeau. Si je suis le Corbeau, alors elle est la Colombe. Léa et Léo, la Colombe et le Corbeau. Ca sonne bien. Et puis mince, je ne devrais pas songer à de telles choses, c’est complètement stupide, je n’éprouve rien pour elle, et elle n’éprouve clairement rien pour moi, c’est évident. On se connaît depuis quelques mois. La sonnerie retentit. De la cuisine, mon père me demande d’ouvrir. D’un bond je suis sur mes pieds, et je m’en veux aussitôt de m’être levé ainsi. J’ai l’impression d’être un de ces misérables autres, ces insectes rampants qui m’entouraient en prépa, qui m’entourent quand je marche dans la rue, qui pullule dans les magasins, qui s’avachissent devant la télévision… Non, quand même pas. Quand même pas. J’ouvre la porte-fenêtre en façade et aperçoit au portail Christelle et Léa à côté d’elle. « Entrez donc, le portail n’est pas fermé. » Léa a souri en me voyant. Elle avait une expression neutre dans la rue, et quand j’ai ouvert les battants et que j’ai parlé, elle a souri. Je me recule, prêt à les laisser entrer. Non, Léa ne sourit pas. Elle a simplement cet air serein qui ne semble jamais la quitter. Je fais la bise à sa mère, je lui fais la bise. Sa joue est douce. Je m’ordonne intérieurement d’arrêter d’avoir de telles pensées. Je ne suis pas un cloporte. Jérôme entre dans la pièce, un grand sourire au visage. Il les embrasse à son tour, en posant la main sur l’épaule de Christelle. Joue contre joue, uniquement. Christelle est radieuse. Léa aussi a l’air épanouie de les voir ainsi. Je me fiche d’eux, je ne me préoccupe que d’Elle. Après qu’elles se soient débarrassées de leurs vestes, nous nous installons dans le salon pour l’apéritif. Petits fours, biscuits, vin pétillant, liqueur de mûre, malibu, coca-cola, ricard. Je prends du vin à la mûre, tandis que Christelle demande un peu de malibu (Jérôme manque de renverser la liqueur en se levant pour aller chercher du jus d’orange), je serre à Léa un verre de jus d’orange et Jérôme prend du ricard. Une belle organisation, excepté pour le coca-cola qui reste délaissé. C’est surtout Jérôme et Christelle qui parlent, de prime abord, un peu timidement, avec des blancs. Léa n’a visiblement rien à dire, et pour ma part je réponds parfois de façon évasive aux questions que me pose Christelle. Je crois que mon père n’ose pas vraiment interroger Léa, ou qu’il ait peur de froisser sa mère, ou qu’il ne désire point interrompre sa méditation. Finalement, il me demande si je ne veux pas faire visiter la maison à Léa, puisque Christelle l’a déjà vue la dernière fois où elle est venue seule. Je me tourne vers la jeune fille pour guetter sa réaction, et elle se lève, prête à me suivre. Très bien, on est parti. Je l’entraîne dans les différentes pièces, accompagnant chacune d’un bref descriptif. Lorsque nous repartons dans le couloir, je dois la frôler pour passer devant. Je respire son parfum, mais je n’arrive pas à l’identifier ; il est léger et agréable. Nous arrivons à ma chambre, dans laquelle je l’invite à entrer. Elle y pénètre lentement, tout en jetant un regard circulaire à l’endroit. Elle se dirige ensuite vers la fenêtre, et s’y arrête, pour observer la vue. Je vais m’asseoir sur mon lit. Quelques minutes passent, sans qu’aucun de nous deux ne bouge. Puis elle se tourne vers moi. Je crois qu’elle veut me dire quelque chose. « Léo, Léa, on va manger ! » | |
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